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Préfaces
PREFACE au livre de Mohammed Benamar DJEBBARI, intitulé : Un parcours rude, et bien rempli. Mémoires d’un enseignant de la vieille génération. |
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Tome 1, Oran, Office des Publications Universitaires, 1999.
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Dans quelques décennies, les Algériens qui ouvriront ce livre croiront y trouver le récit d’un visiteur débarqué d’une autre planète... Peut-être sera-ce le cas aujourd’hui même, tant l’Algérie dans laquelle a grandi Mohammed Benamar Djebbari paraît lointaine. L’époque de la colonisation , dont traite ce premier tome, la majeure partie de la population ne l’a pas connue. Bien plus, la mémoire ne lui en a pas été transmise : les manuels d’histoire ne la mentionnent que pour mettre en scène un ennemi susceptible de maintenir la cohésion nationale, et les media ne l’évoquent qu’a travers les slogans que suggèrent les nécessités de l’heure. Or les origines sont comme les parents : on ne les choisit pas, il faut les assumer. La jeunesse d’Algérie, aujourd’hui et demain, ne peut s’épanouir que si elle sent derrière elle, non pas le gouffre de la dénégation ou du fantasme, mais le riche terroir sur lequel sa société s’est construite, siècle après siècle, depuis les Berbères, en passant par les conquérants arabes, jusqu’aux colonisateurs, qui ont tracé les contours de son visage actuel, dans ses frontières, mais aussi dans son économie et sa culture.
Certes il n’est pas facile de raconter sa vie. Il faut croire à l’utilité du modèle qu’on transmet. Celui qu’incarne le parcours de Mohammed Benamar Djebbari est capital. A chaque étape il associe la fidélité au passé et l’ouverture au progrès. Qui saura dire le mérite de ces générations d’écoliers qui additionnaient deux programmes, deux horaires, deux langues. Avant et après l’école française, ils allaient apprendre l’arabe auprès du fqih, durant la journée, ils étudiaient la langue de Voltaire ! Dans chacun de ces mondes, ils trouvaient des maîtres qui savaient susciter leur adhésion, voire leur enthousiasme. Au sein d’un régime colonial méprisant, ils savaient reconnaître un Monsieur Cordel, apôtre d’une foi républicaine ! C’est cette double culture, ce bilinguisme vrai, qui a produit les plus fortes personnalités de l’Algérie, à commencer par l’exemple local de Si M’hammed Rahal, le célèbre Délégué financier. C’est cette double ouverture qui a permis à tant d’Algériens d’entrer sans culpabilité dans la modernité, sûrs qu’ils étaient de n’avoir rien renié de leur passé, et confiants dans la synthèse qu’ils sauraient faire de deux origines données comme opposées. Mr Djebbari en égrène la longue liste tout au long de ces pages pour Nédroma, mais combien d’autres ailleurs ! C’est ce modèle que, à l’égal ou mieux que les Sadikiens de Tunisie, devait incarner la personnalité algérienne, appelée à mixer un vieux fonds tribal berbère, une civilisation arabo-islamique et une longue imprégnation européenne, un modèle obscurci par les aléa de la politique, mais qui reste toujours à construire, parce que défini par la réalité des origines et escompté par le dynamisme de la société.
Dans une Algérie où les témoins du passé ont été si facilement balayés par les colonisateurs, voire même par les gestionnaires qui leur ont succédé, la ville de Nedroma a su préserver une personnalité algérienne. Par sa mosquée du XII° siècle, ses remparts almoravides, ses ruelles définissant des quartiers antiques, ses extensions modernes, elle montre, par ce qu’elle est dans son architecture, ce que peut être l’Algérie dans sa culture et sa personnalité. Ceux qui connaissent la ville liront ces lignes avec émotion, ils y trouveront les noms familiers d’aujourd’hui, les racines de leurs ancêtres, la vie qui fut la leur. Mais, nédromi ou non, chacun sera sensible à cet itinéraire d’un homme qui témoigne de sa vie à chacune de ses étapes, qui n’hésite pas à en dire assez pour que chacun puisse en revivre les phases à travers lui, qui le guide avec sa petite lanterne dans les souterrains du passé, qui lui ouvre de temps à autre de belles perspectives, de vastes échappées sur ce qu’aurait pu être le destin de l’Algérie si tant d’occasions n’avaient été perdues, mais dont le récit finalement rassure. Il rassure parce que, si les fondations ont été telles, il n’est pas possible qu’un jour un bel édifice ne soit pas construit. Le caractère volontariste de ce parcours individuel est à l’image de celui du pays : il est difficile peut-être, rude certainement, utile sans doute, mais il ne peut à terme qu’aboutir à une société ayant réassumé ses origines et ayant ainsi accédé à une place originale dans le monde moderne. Il faut féliciter l’auteur de son entreprise vaillante, et lui souhaiter la force nécessaire pour mener son récit à son terme.
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