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Les Nuits parlent aux hommes de leur destin |
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Corps Ecrit. L'Arabie heureuse. N°31, p.47-62
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Les Mille et Une Nuits, un texte où se déverse depuis des siècles l'imaginaire du monde arabe, nous enveloppe aussi et prend possession du nôtre. Dans ses multiples versions arabes écrites, dans ses incessantes retraductions, à travers la voix des mères et la faconde des conteurs, elles ne cessent de faire renaître la totalité de la langue, langue de la nuit et langue du jour, langue du rêve et langue de l'éveil, langue des animaux et langue des hommes, langue d'avant Babel et langue d'après, langue des contes et langue du Coran.
Dans ce récit fleuve, chacun peut lancer sa barque. Les identifications, les positions d'écoute, les transferts les plus variés s'offrent à quiconque accepte d'être pris dans le récit. La voix d'une femme, en présence du tiers que représente sa petite sœur, appelle, hors de son malheur, un homme pétrifié par une scène vue. Des figures multiples sont engendrées dans la narration par la voix, autant de réponses singulières au "seul malheur, celui d'être né ", autant de possibilités de déplacements, d'identifications. Un art du vivre, ici, s'esquisse qui refuse l'arrêt sur l'image et fait de la vie une capacité de mouvement. Qu'à l'homme, une certaine pratique de la synthèse soit indispensable, nécessaire, Le Livre des nuits ne le nie pas, mais l'unité ne saurait, en aucun cas, ni faire système ni faire oublier les mille fragments de la perception dont se soutient notre vision du monde. L'unité et l'universel de l'espèce, dans le pluriel des voix des individus qui la composent, se font entendre. Aucun schéma explicatif ne saurait faire cesser ce bruissement des voix par lequel ce qui, en nous, reste immémorial quoique mémorable se laisse entendre.
Un collectif s'est exposé à ces textes, comme on s'expose à la chaleur diurne ou à la clarté nocturne. De ces heures passées ensemble, des textes sont nés... Surtout pas didactiques : la parole des Nuits suffit, elle ne demande qu'à germer dans l'écoute. Ces textes sont présentés ici, comme autant de facettes... Une attention au projet à l'œuvre dans les Nuits se déploie ici, au travers d'une lecture interprétative du prologue, et par la poursuite de la narration engendrée en nous par les Nuits. Nous est contée l'histoire du couple équivoque des deux frères. Nous parvient la voix paniquée de Doniazade, la petite sœur de Schahrazade. Nous est légué, au soir de sa vie, par Schahriar son effort pour construire la mémoire de ce qui eut lieu et permit l'oubli. Et pour finir, en comptant les nuits, le chiffre et la lettre se nouent en une étrange leçon.
L'ensemble de ces récits ébauche une autre dimension de l'origine : une origine qui n'aurait pas eu lieu une fois pour toutes, mais aurait à s'accomplir comme avenir. La voix du conte la rend actuelle, d'où la nécessité de ne pas céder à la passion réductrice de l'interprétation et de laisser le conte nous mener en ce point où la mémoire nous saisit, rendant possibles les commencements .
Le prologue des " Mille et Une Nuits"
Dans les Mille et Une Nuits, on dit que Schéhérazade a durant tout ce temps raconté au roi Schahriar des histoires pour lui faire oublier le grand malheur qui l'avait frappé: celui d'avoir été le témoin de la trahison de sa femme. Et puis on s'aperçoit que la conteuse, au lieu de lui faire oublier son malheur, le lui rappelle constamment par les histoires qu'elle met en scène. Ainsi est-on conduit à penser qu'il s'agit là d'autre chose que de la distraction, même en son sens le plus profond : un trauma initial qui doit finir par être oublié, à force d'être remémoré...
En fait, trois scènes de trahison féminine sont rapportées dans le prologue. La première concerne le frère de Schahriar, revenant à l'improviste dans son palais :
"Et il trouva son épouse étendue sur sa couche et accolée par un esclave noir d'entre les esclaves. A cette vue, le monde noircit sur son visage... Sur ce, il tira son épée et, frappant les deux, les tua sur les tapis de la couche..." (Mardrus, I, 7).
Il tombe alors dans un grand abattement d'où il ne sera tiré que par le malheur, plus grand à ses yeux, de son frère. La seconde se rapporte au roi Schahriar lui-même :
"La porte du jardin s'ouvrit et en sortirent vingt esclaves femmes et vingt esclaves hommes; et la femme du roi, son frère, était au milieu d'eux qui se promenait dans toute son éclatante beauté. Arrivés à un bassin , ils se dévêtirent tous et se mêlèrent entre eux. Et soudain la femme du roi s'écria: "O Massaoud! Ya Massaoud!" Et aussitôt accourut vers elle un solide nègre noir qui l'accola ; et elle aussi l'accola. Alors le nègre la renversa sur le dos et la chargea. A ce signal, tous les autres esclaves hommes firent de même avec les femmes. Et tous continuèrent longtemps ainsi et ne mirent fin à leurs baisers, accolades, copulations et autres choses semblables qu'avec l'approche du jour " (Mardrus, I , 8).
A cette vue, le roi perd la raison, "il perd ses amarres", et part avec son frère, abandonnant la royauté, jusqu'à ce qu'ils trouvent quelqu'un qui ait éprouvé pareille aventure. Ce sera la troisième scène, où ils seront acteurs malgré eux de la tromperie dont est victime le jinn. Après que la belle adolescente les eut contraints l'un et l'autre à avoir avec elle des relations sexuelles, le texte poursuit:
"Puis elle sortit de sa poche un petit sac et en tira un collier composé de cinq cent soixante-dix sceaux, et leur dit : "Les propriétaires de ces sceaux tous ont copulé avec moi sur les insensibles cornes de cet éfrit. Ainsi donc, vous les deux frères, donnez-moi les vôtres." Alors ils lui donnèrent, les sortant de leurs mains, deux sceaux. Elle leur dit alors: "Sachez que cet éfrit m'enleva la nuit de mes noces, me plaça dans une boîte et, mettant la boîte dans la caisse, fixa sur la caisse sept cadenas, et me mit alors au fond de la mer mugissante qui se heurte et s'entrechoque avec les vagues. Mais il ne savait point que lorsqu'une femme d'entre nous désire quelque chose, rien ne saurait la vaincre." Et le poète dit, d'ailleurs: "Ami ! ne te fie point aux femmes et souris à leurs promesses! car leur bonne ou mauvaise humeur dépend du caprice de leur vulve ! Elles prodiguent l'amour mensonger, alors que la perfidie les emplit et forme la bourre de leurs vêtements..." A ces paroles, les deux frères s'émerveillèrent à la limite de l'émerveillement, et ils se dirent l'un à l'autre: "Si celui-là est un éfrit, et qu'en dépit de sa puissance il lui soit arrivé des choses bien plus énormes qu'à nous, c'est là une aventure qui doit nous consoler!" Alors ils quittèrent à l'heure même la jeune femme, et retournèrent chacun dans sa ville" (Mardrus, I, 10).
Ce malheur d'un plus puissant leur permet de reprendre leur place de roi. Schahriar fait exécuter sa femme et les esclaves complices, mais il s'engage dès lors dans un processus de vengeance meurtrier : chaque nuit il déflore une vierge et au matin la tue. Au bout de trois ans, il ne resta plus de filles. C'est alors que Schéhérazade, la fille du vizir, se propose d'elle-même pour sauver son père et les autres filles. A la répétition quotidienne du meurtre vengeur va succéder le fil des récits, qui ne cessent de remettre en scène le trauma initial d'une façon directe, ou inversée, ou suggérée, ou déplacée. Comme si la scène devait être refigurée jusqu'à ce qu'elle puisse accéder à un autre mode d'exister, figurer sur une autre scène, qui libérerait le roi d'un face à face trop violent avec lui-même.
En quoi la scène de la trahison a-t-elle pu l'atteindre à ce point? Car il s'agit évidemment de bien autre chose que d'une question d'honneur et d'amour-propre. C'est comme si quelque chose d'essentiel s'était effondré en lui-même. Il a vu sa femme être non plus objet de son désir à lui, mais sujet de son désir à elle : un désir qui articule une toute-puissance fantasmatique de la femme. Il l'a vue lui préférer un esclave noir, ce qu'il y a de plus différent de lui, son antithèse en somme.
En fait, le noir est devenu pour la reine son roi, il a répondu à son désir sexuel, qui apparaît insatiable, par une puissance sexuelle inouïe. De ce fait Schahriar se trouve réduit à rien. Sa première réaction est une réaction d'impuissance : à la différence de son frère, il ne tue pas les coupables sur-le-champ, mais se juge inapte à exercer la royauté... sauf s'il trouve un autre plus puissant à qui cela arrive. Pourquoi un autre? Le choc de la copulation, non seulement l'a convaincu de son impuissance, de la fragilité de sa position, mais l'a aussi enfermé dans une solitude radicale, une solitude telle qu'elle l'a placé hors humanité. Dans une version arabe, le roi Schahriar, au récit de son frère, lui dit: "Ce qui t'est arrivé, je ne pense pas que ce ne soit jamais arrivé à personne d'autre. Par Allah, si c'était moi, non seulement je tuerais cent ou mille femmes, mais je serais pris de folie, j'en sortirais fou! » Suit le récit de son propre malheur.
Effectivement il rencontre, comme son frère, un autre plus puissant à qui cela arrive. Il retrouve des repères de ce fait, une place dans le lot commun de l'humanité. Mais une place marquée par la violence, la violence qui a remplacé le désir impuissant, la répétition d'un acte vengeur. Cette violence, le meurtre quotidien d'une femme que personne d'autre que lui n'aura possédée, le rétablit dans la position folle (mise en cause par la choc) d'être unique, tout-puissant. Un être dont le désir, transcrit en termes de force sexuelle, n'a plus à craindre la concurrence d'un autre qui, par son éventualité même, le menacerait. Une situation marquée par la répétition, la solitude, le mutisme, d'où rien ne peut advenir que la mort, qui y est constamment mise en scène.
Une troisième phase s'ouvre avec l'intervention de Schéhérazade. Le roi va lui permettre de raconter. A travers tous ces récits, c'est ce choc initial qui va être constamment remémoré, comme s'il devait être vécu d'une autre façon, sur une autre scène, pour pouvoir constituer de l'histoire, du passé, et donc pouvoir être oublié. Une chose effroyable pour le roi s'est passée dans un réel innommable, qui l'a envahi totalement. Par rapport à ce " réel ", il doit prendre du recul, se dédoubler : nommer cet événement, le faire passer du sensible à l’intelligible. Par rapport à la parole et grâce à elle, le roi va avoir accès à l'autre face de l'événement, à son au-delà : il se crée un lieu de mémoire, où l'événement se reproduit pour la seconde fois. C'est bien ce qui, dès le début des Nuits, va se présenter dans les récits que des vieillards racontent au génie pour obtenir la vie du marchand (Mardrus, I, 14 s.). Paul Auster en fait le commentaire suivant
:
"L'un après l'autre, les deux autres vieillards proposent au génie le même marché, et commencent leurs contes de la même façon. "Ces deux chiens sont mes frères aînés", dit le second. Et le troisième : "Cette mule était ma femme." Ces phrases d'ouverture contiennent l'essence du projet entier. Qu'est-ce que cela signifie, en effet, de regarder quelque chose, un objet réel dans le monde réel, un animal, par exemple, en affirmant que ce n'est pas ce que l'on voit? Cela revient à dire que toute chose possède une double existence, à la fois dans le monde et dans nos pensées, et que refuser d'admettre l'une ou l'autre, c'est tuer la chose dans ses deux existences. "
Histoire de deux frères
Il est raconté que " dans l'antiquité du temps et le passé de l'âge et du moment " (Mardrus, I, p. 7), c'est-à-dire au temps des origines, vivait un grand roi et ses deux fils. Ceux-ci possédaient tous deux de nobles qualités mais ils n'en étaient pas moins fort différents : l'aîné était grand et l'autre petit, le plus âgé était meilleur cavalier que le plus jeune, enfin il était dit: " Le grand régna sur les pays et les gouverna avec justice entre les humains : aussi l'aimèrent les habitants du pays et du royaume " (ibid., p 7). De l'amour que reçut le cadet de son peuple, nous ne savons rien, de même nous ignorons si ces frères avaient une mère vivante ou morte puisque la place de celle-ci est au creux du silence de l'histoire.
A la mort du père, les deux fils se quittent ou, plus exactement, le jeune Schahzaman s'en va dans des contrées lointaines pour gouverner Samarkand Al-Ajam. Il laisse ainsi derrière lui sa terre, sa famille, son pays pour régner sur des habitants " non arabes " (ibid., p. 7), alors que son aîné, Schahriar, prenant la place du père, reste au sein de sa famille et garde pour lui seul la terre de leur origine.
Un jour, alors qu'ils sont séparés depuis vingt ans, le roi Schahriar se souvient de son frère et ce souvenir est si intense " qu'il éprouve un ardent désir de le revoir " (ibid., p 7). Quelque chose arrive au roi Schahriar au moment où il est dans la plus parfaite complétude : " à la limite de la dilatation et de l'épanouissement " (ibid., p 7), quelque chose qui ouvre une faille et lui fait sentir un manque, il ordonne à son vizir d'aller chercher son frère et de le lui ramener.
Schahzaman, à l'invitation de son frère, répond: " J'écoute et j'obéis." Il se prépare au voyage et au retour dans le pays natal. Il n'exprime pas ses émotions, il obéit simplement et met ses affaires en ordre. Lui, aussi, vivait heureux sur cette terre étrangère, mais à l'appel de son frère il laisse, une fois encore, ce qui était devenu son pays. Cette nuit-là, sur la route qui le ramène vers sa terre natale, il se produit quelque chose qu'il n'avait pas prévu, qui lui arrive "malgré lui" : un oubli... il a oublié ce qu'il devait apporter à son frère. C'est en retournant là d'où il vient qu'il va voir la scène : celle de sa femme copulant avec un esclave noir.
Schahzaman reste calme, certes son visage noircit mais il se dit : "Si telle aventure est survenue alors que je viens à peine de quitter ma ville, quelle serait la conduite de cette débauchée si je m'absentais quelque temps chez mon frère?" (ibid., p. 6 ). Ses propos sont raisonnables, ils paraissent presque logiques pour un homme aussi soucieux de laisser son royaume en ordre. Il tue les amants et reprend sa route sans s'en détourner, sans que rien ne vienne déranger le cours de son voyage. Pourtant, c'est cette scène, ressurgie de la nuit, qu'il va apporter à son frère, sous les traits de son visage jauni.
Schahriar manifeste bruyamment sa joie de revoir son cadet, il lui fait fête mais celui-ci ne répond pas à ses manifestations d'amour, bien au contraire, il semble dépérir... Un jour cependant où il se trouve seul, un jour d'ennui peut-être, il regarde par la fenêtre et aperçoit une scène qui lui redonne vie : celle de l'infortune de son frère, scène d'orgie où la femme du roi son frère s'accouple à l'esclave noir Massaoud. Il lui apparaît que cette scène est bien pire que celle qu'il a lui-même vécue puisqu'elle concerne son frère aîné, si comblé par la vie, si aimé par tous. Sa douleur disparaît immédiatement, au bénéfice de la satisfaction de la douleur de l'autre.
Quand Schahriar rentre de la chasse, il est surpris par la transformation de Schahzaman. Ce dernier très finement attise sa curiosité et finit par lui dévoiler la scène : celle qu'il a trouvée chez lui lors de son retour inopiné et celle qu'il a observée dans le jardin de Schahriar pendant son absence. Son frère ne veut pas le croire, il exige de voir la trahison de sa femme de ses propres yeux, ne s'en remettant pas au regard de son frère. C'est cependant, de la fenêtre de celui-ci qu'il contemplera ce qui en son jardin se passe...
A cette vue Schahriar devient fou, ses liens de filiation se défont , il ne peut plus être roi avant d'avoir trouvé un autre plus puissant, un père, à qui cette mésaventure soit arrivée. Il lui faut un modèle.
C'est le départ, l'errance des deux frères, le plus jeune suivant l'aîné comme son ombre. En devenant "les esclaves noirs" de la femme du génie et en répondant à son désir, ils comprennent que même enchaînée une femme est libre de désirer. Cependant, ils ont trouvé l'autre qu'ils cherchaient : le génie, être plus puissant qu'eux, est aussi atteint par la trahison féminine. Les frères, alors, se séparent pour la seconde fois.
De retour chez lui, Schahriar tue sa femme et les esclaves. Il prend, nuit après nuit, les vierges, l'une après l'autre, avant qu'elles ne soient femmes, puis il les tue. Par la répétition d'une scène dans laquelle il est le seul acteur, amant et justicier, agresseur et victime, il rejoue sans cesse la douleur de sa solitude. Entre la vie et la mort ne reste que le temps vide d'une nuit. Il met ainsi en place un rituel qui évite toute possibilité d'accès au désir. Il tue la vie, il tue la cité : femmes et enfants disparaissent. Il faudra que Schahrazade, la fille du vizir, fasse intervenir la voix des contes pour que le rituel soit suspendu. Il faudra qu'une femme le trompe (sur son désir) mais ne le trahisse pas pour qu'il puisse devenir homme et père.
De son côté, Schahzaman lui aussi tue les vierges. Il veut "faire expier à la race des femmes" une faute (Mardrus, II, p.1015). On ne lui en conte pas, à lui et la machine à tuer va fonctionner pendant six ans. Dans cette compulsion à effacer la faute, Schahzaman n'arrive même plus "à jouir de l'amour" les trois dernières années (ibid., p.1015).
Par quelle faute Schahzaman est-il si atteint? S'agit-il de la trahison des femmes ou de sa propre trahison, celle qu'il avoue à son frère par ces mots : "A cause de moi, cette scène t'a atteint à ton tour..." et il ajoute comme pour se faire pardonner: "A partir de maintenant je vais suivre ton exemple" (ibid., p.1015).
Schahzaman ne part plus, il renonce à sa charge de roi et épouse la sœur de Schahrazade. Schahriar envoie le Père, son vizir, dans les contrées lointaines pour gouverner les habitants de Samarkand Al-Ajam qui se réjouissent de sa venue. Il propose à son jeune frère de partager le pouvoir, les deux frères sont enfin réunis sans que rien ne vienne plus les séparer.
Au roi immobilisé, à Doniazade apeurée, Schahrazade fait découvrir les joies des balançoires de l'enfance. Elle les pousse par la voix loin d'eux, loin d'elle, les plonge au plus haut point au cœur du texte. Puis elle accueille leur retour à eux, à elle ; laissant le texte d'extérieur à l'auditeur se faire fort intime : énigme du jeu de la présence et de l'absence où s'opère la transmission. A l'indéfini du il des récits succède l'intimité du je. Doniazade, la petite sœur, et Schahriar disent je, ils le disent au cours des interruptions du récit, interruptions quotidiennes qui sont la vibration d'un temps autre, non plus celui du conteur mais celui de l'auditeur ; ils le disent aussi dans les deux textes qui suivent. Comme si, à notre insu, nous étions venus là où ces nuits conduisent, à la puissance d'une fiction qui nous échappe et qui met en jeu des choses aussi graves que la sexuation, la mort, la filiation, et la loi qui différencie les êtres et leur permet d'échapper à la folie.
Doniazade
Le roi m'a fait appeler quand il était couché dans le lit avec toi. Je suis venue et je me suis glissée sous le lit. Ma tête est vide, j'ai peur car je sais que tu vas mourir au matin comme les autres et que c'est notre père qui te tuera.
Je ne pense à rien si ce n'est à faire ce que tu m'as dit. Il faut que je devine quand il aura fini - fini de quoi ? je ne sais - de te mettre à mort. J'ai tellement peur. Alors quand je n'entends plus de bruit - ni de toi, ni de lui - qu'un grand silence s'est fait et que le roi va se remettre à penser à la mort, je dis: "Oh, ma sœur, raconte-moi ce que c'est que cette mort qui te menace et ce matin terrible qui va venir et ce linceul que notre père a préparé. "
Et puis tu te tais, et c'est le matin, ce matin où tu vas peut-être mourir et je parle, je loue tes paroles pour couvrir ton silence - pour te rappeler ce qui te menace et que tu oublies quand tu racontes. Alors, tu demandes au roi la permission de continuer.
Et le roi s'aperçoit que ta voix n'est plus là, qu'elle lui manque, que ces êtres que tu as créés l'accompagnaient dans sa rêverie, il te laisse la vie une journée encore.
Et cela recommence, identique, toutes les nuits.
Peu à peu, j'ai moins peur, je peux écouter tes contes, j'y prends même plaisir. Quand je n'entends plus rien au-dessus de ma tête, je dis: "Oh, ma sœur, raconte-moi des histoires qui recommencent sans cesse, qui ne finissent jamais, qui fassent attendre le matin." Parfois quand je suis trop émue par ton récit je me retiens de respirer ou je me blottis contre toi, je t'embrasse comme autrefois quand nous jouions ensemble et que nous étions petites et rieuses. Mais la menace est toujours là. Je suis celle qui s'en souvient et je tremble quand le regard du roi s'assombrit.
Maintenant, je rougis quand tu racontes des histoires que le roi comprend et que je ne comprends pas. Cette chose que j'entends la nuit entre vous, ce n'est pas seulement pour te mettre à mort? Alors quand je crois que c'est fini, je dis : "Oh ma sœur, parle-moi de ces bruits que j'entends, de ces plaisirs que j'imagine et de ce qui se passe entre vous la nuit."
Le roi qui m'apparaissait terrifiant, il y a quelques mois est devenu plus humain. Parfois je vois ses yeux mouillés de larmes quand tu racontes des histoires si belles. Je sais que l'idée de te tuer s'est éloignée de lui et qu'il souhaite autant que moi que tu continues à raconter. Mais il ne le dit pas encore.
Et moi qui ai grandi, j'ai envie de cette chose si forte qui vous prend tous les deux au-dessus de ma tête.
Mais pas avec le roi. Il ne veut plus que je sois là quand tu lui racontes des histoires d'amour. Il veut certainement sans le savoir la tendresse de vos enfants. Un jour, j'irai chercher ses fils qu'il ne connaît pas et je partirai de dessous ce lit où je suis obligée de venir toutes les nuits et d'entendre quand vous ne parlez pas.
Schahriar
Je m'appelle Schahriar. Je suis roi de Sassan, fils d'Abraham et d'Agar. Je suis dans la quatre-vingt-dix-neuvième année de ma vie. Au terme de cette année, cette nuit, le souffle, de mon corps, va s'en aller. Je ne verrai pas le matin du premier jour de ma centième année. En cet instant où la Séparatrice des amis, la Destructrice des palais, l'Inexorable va, à la Compassion d'Allah, me soumettre, ce n'est ni de mon histoire, ni des histoires racontées que je veux me souvenir, de cela les historiens et les annalistes se sont chargés : trente volumes, pas un de plus pas un de moins, en tiennent annales. En cette veille de ma mort, j'essaie de saisir ce qui en moi, survint par la voix à qui Schahrazade donna corps.
Mon nom, je vous ai dit, oubliant que je suis celui que l'on oublie toujours, je suis pourtant le roi dont le malheur vous donna à vous, postérité des hommes Le livre des Mille Nuits et Une Nuit. Par sa voix, Schahrazade se fit " rançon pour les filles des Mousslemines afin d'être la cause de leur délivrance d'entre mes mains " (Mardrus, I,11) en me délivrant de l'emprise du malheur. Par ses contes, nuit après nuit, elle distilla, en mes veines, le doux poison de la vie. Sans que j'y prenne garde, elle fit renaître en moi la jouissance de la vie et il me devint inenvisageable de "passer une nuit sans ses paroles à mes oreilles et sans sa vue à mes yeux" (Mardrus, II, 917). Cela, je ne pus lui dire qu'après neuf cent cinquante-huit nuits passées ensemble.
En mon cœur, elle fut bien avant que je ne puisse le reconnaître et elle le fut, encore plus, lors de la mille et unième nuit, premier jour d'une ère nouvelle, quand d'elle, j'appris qu'au cours de ces mille nuits, par son entremise, le Rétributeur m'avait octroyé trois fils. Ma parole put, alors, s'adresser à elle, s'élevant de l'oubli du malheur que ses contes avaient rendu possible, pour lui dire que je l'avais aimée en mon esprit parce qu'en elle j'avais trouvé une femme pure, pieuse, chaste, douce, indemne de toute duperie, intacte à tous égards, ingénue, subtile, éloquente, discrète, souriante et sage" (Mardrus, II, 1014). Par elle, mes nuits, de l'angoisse et de l'insomnie furent délivrées, de nouveau je pus goûter au plaisir du sommeil sans peur du rêve où l'âme s'accomplit. Sa voix et ses paroles m'enlevèrent la crainte du noir de la nuit, les nuits devinrent trop courtes pour l'envie d'entendre sa voix qui m'avait saisi (Mardrus, II, 905).
Cela faisait trois ans que j'étais tout à mon mal comme une ombre parmi les vivants, tous les gestes propres à ceux-ci je faisais absent à moi-même. La raison s'était envolée de ma tête, quand j'avais voulu voir de mon propre œil ce qui, dans le jardin de mon palais, se passait, en mon absence, selon mon frère. Posté à une fenêtre, j'avais vu l'état de choses qui y régnait, mon épouse la reine accolée au nègre Massaoud, les esclaves hommes prenant les esclaves femmes. J'étais resté sans mots, pétrifié par cette vision, sans autre réaction que la fuite. Après un temps d'errance en compagnie de mon frère, ayant trouvé plus puissant que moi à qui pire malheur était arrivé, je revins en mon palais et exerçais sans goût mes tâches royales. Dès mon retour, j'avais fait décapiter l'infidèle et ses complices. Et j'avais ordonné à mon vizir qu'à compter de ce jour, chaque nuit, une jeune fille vierge me soit amenée à qui je ravirais sa virginité et qu'au petit matin je ferais décapiter. Nuit après nuit, vierge après vierge, ne s'épuisait pas mon malheur, sans nom il restait, blanches étaient mes nuits, grande l'angoisse.
Vint alors Schahrazade, d'abord je ne sus pas qu'elle était venue, tant elle me paraissait semblable à celles qui l'avaient précédée. Pourtant dès que j'avais voulu la prendre, un changement était apparu, ses larmes imposèrent la présence de sa sœur Doniazade qu'elles réclamaient. Ce fut par celle-ci, que vint la sollicitation à raconter une histoire. L'idée d'un conte m'était apparue comme un moyen de passer une nuit, d'éviter l'angoisse et l'insomnie. Ainsi commença la première nuit de narration, mais ce ne fut que bien plus tard, lors de la neuf cent quatrième nuit, que je la reconnus comme ayant été la première.
Au terme de cette première nuit, le conte n'était pas fini, je voulus en connaître la suite, aussi: "Par Allah ! me dis-je, je ne la tuerai que lorsque j'aurai entendu la suite de son conte." La seconde nuit s'acheva sans que l'histoire à son dénouement ne soit parvenue. Shahrazade, survécut à cette nuit-là, aussi. La troisième nuit, j'entendis la fin de la première histoire, mais à peine Schahrazade eut-elle achevé sa narration que, d'une promesse, elle me laissait entendre qu'une plus étonnante histoire, elle connaissait. Ma curiosité étant éveillée, je l'invitai à la raconter. Au petit matin de la quatrième nuit, la seconde histoire n'était pas finie. "Par Allah! Je ne la tuerai que lorsque j'aurai entendu la suite de son conte."
Et, ainsi, sans que je ne m'en rende compte s'écoulèrent les nuits, passèrent les jours. Prêtant sa voix aux légendes du passé, Schahrazade le faisait revivre devant moi, derrière les personnages qu'elle rendait présents, elle se faisait oublier comme victime possible, par cette voix prêtée, sa vie prenait une valeur considérable à mes yeux sans que je m'en aperçoive. Si aucune nuit, je n'oubliais de faire ma chose avec elle, chaque matin j'oubliais ou remettais l'exécution de Schahrazade. Celle-ci veillait dans sa narration à ce que je ne me fatigue pas, ni ne perde mon intérêt. Dans le jour, somnambule, je vaquais aux affaires de mon royaume, toujours aussi peu présent aux intérêts de celui-ci mais commençant à être plus présent à mes affaires la nuit. Nuit dont je commençais à attendre le retour avec impatience.
Passèrent ainsi cent quarante-cinq nuits sans que je songe à mettre Schahrazade à mort ; cette nuit-là, selon Le Livre, la tendresse vint au regard que sur elle je posais. Pour la première fois surgit en moi le regret du massacre de tant d'adolescentes et je pensai que je devais épargner Schahrazade.
Schahrazade, je m'en rends compte, était attentive au moindre mouvement de mon âme, les froncements de mes sourcils, mon air triste ou gai, la moindre de mes remarques guidaient sa narration, déterminaient le choix des histoires. Cela, elle le faisait non par vile flatterie, mais par le réel souci que, de moi, elle prenait. Vigilante aux effets de ce qu'elle me racontait, elle était. Tantôt me détournant de mon malheur par des histoires plaisantes ou extraordinaires, tantôt m'y ramenant au risque de perdre sa tête.
Elle tissait, autour de moi, en donnant voix au passé immémorial des rois et des peuples passés, le filet au moyen duquel elle m'arracherait à l'océan de mon malheur, pour me redonner le bonheur de vivre. Par sa voix, elle détournait mon esprit de la scène terrible où mon regard l'avait gardé prisonnier. A moi, qui ne dormais plus, ou si mal et si peu, depuis des nuits et des nuits, elle redonnait la force du rêve, cette capacité de voir l'invisible, l'épaisseur du jour.
Diserte Schahrazade, de sa bouche coulait le miel, brillait son intelligence dans la nuit, resplendissait sa beauté et devenait le grain de sa peau, le toucher de sa voix mes biens les plus précieux, ceux que je ne possédais que du don qu'elle m'en faisait. Intimes, nous devenions, je prenais goût à dormir auprès d'elle, chacun rêvant de son côté au côté de l'autre.
Par elle, me revenait la patience, se reconstituait ma capacité de différer, en la promesse je retrouvais confiance. Dès la deux cent quarante-neuvième nuit, ce n'était plus pour être gardé de l'insomnie que je souhaitais des histoires, c'est pour écouter ma conteuse que je retardais le moment de dormir.
Au fil des histoires, je pouvais enfin parler de ce qui m'était arrivé, d'abord avec colère, celle que je n'avais pas eue sur le moment, puis avec une certaine prise de distance et enfin comme d'une chose qui m'était arrivée dans un passé n'ayant plus maintenant d'actualité.
A produire l'oubli en moi en me permettant de donner un nom à ce qui fut et fit s'envoler ma raison, travaillait la voix de Schahrazade. Par elle, de mon passé, la nuit ne fit plus cauchemar mais rêve.
Quand elle vint à moi la première fois, en mon royaume, les humains étaient dans les cris de douleur et le tumulte de la terreur, les pères et les mères fuyaient les villes de mon royaume avec ce qu'il leur restait de filles. Avec elle, la bénédiction fut sur le pays et bienheureux, comme elle, furent mes sujets.
Mille nuits, il lui fallut pour que mon regard se détourne de la scène où il était emprisonné. Si, à mon insu, de ma bouche, jaillirent dès la deux cent soixante-dixième, des louanges indirectes, neuf cent trente-sept nuits furent nécessaires pour que ma conscience reconnaisse l'amour qui de mon âme avait pris possession et, pour qu'enfin j'accepte de voir Schahrazade dans toute sa splendeur et que je sache que, désormais, je ne saurais passer un jour de Ma vie sans que sa voix parvienne à mon oreille.
Par elle revint à mon esprit l'entendement qu'il avait perdu. Les mots retrouvèrent toute leur saveur. Et, en eux, il me fut possible d'entendre le nom absent d'Allah, le centième et, pour que cela fut, la voix eut à se faire entendre mille nuits du sans foi que j'étais devenu.
Ma vie arrive à son terme, à ma vie, pas un jour n'a manqué Schahrazade. Demain, je la laisserai seule. Le temps en rien n'a entamé mon amour, dans nos corps il a creusé les sillons des rencontres, les traces de la vie. Certes la figure de Schahrazade de rides s'est creusée mais sans la défigurer, rendant plus précis et plus pur le visage de mon amour. En sa peau, les creux laissés en celle qui, pendant tant d'années, fut mon hôtesse, par l'hôte que, bien des jours et des nuits, je fus.
De la bouche de ma compagne, cette femme aux longues cuisses de gazelle, aux yeux palombes et aux cheveux de geai, coula le miel d'entre ses lèvres qui sont "tel un fil écarlate". Par sa voix furent sauvées de ma folie meurtrière les filles des Mousslemines, ainsi, au peuple issu d'Abraham et d'Agar, une descendance fut assurée qui louanges et gloire pourra faire jusqu'à la fin des temps à Celui qui reste intangible dans son éternité. A lui notre recours pour une heureuse et bienheureuse FIN.
Compter les nuits
"On raconte qu'il y avait, dans l'antiquité du temps et le passé des âges et des siècles, un sage d'entre les sages de la Grèce qui s'appelait Danial."
Tout étant possible dans les contes, nous le retrouvons aujourd’hui avec son fils Hassib.
Danial : Hassib, mon fils, connais-tu l'histoire des Mille Nuits et une Nuit?
Hassib : Je connais quelques contes, mais de quoi est-il question au juste dans ce recueil d'histoires?
Danial : Il s'agit d'un roi, Schahriar, qui est témoin d'une scène où il surprend sa femme avec un esclave noir. Il les tue et, à la suite de cet événement, chaque jour il prend une vierge qu'il tue une fois la nuit écoulée. Mais arrive Schahrazade qui entreprend de lui raconter des histoires qui éveillent sa curiosité de sorte qu'il attend à chaque fois la fin d'une histoire jusqu'au lendemain. Ainsi il épargne Schahrazade d'une nuit à l'autre. Cela dura Mille Nuits et Une Nuit à la fin desquelles, l'histoire terminée, il décide de ne pas la tuer.
Hassib : Mais comment a-t-elle pu raconter autant d'histoires?
Danial : Cette jeune fille était très intelligente et elle savait ce qu'elle faisait. Elle connaissait les légendes des rois anciens, des peuples passés et elle avait lu 1 000 livres d'histoires.
Hassib : Mais pourquoi 1001 nuits ? Elle aurait pu s'arrêter avant ou continuer? et pourquoi ce titre: Mille Nuits et Une Nuit? Pourquoi le roi ne l'a-t-il pas tuée quand elle s'est arrêtée, comme toutes les autres? Que s'est-il passé?
Danial : Très bonnes questions, en effet pourquoi après cet événement a-t-il tué une jeune fille chaque nuit, répétant inlassablement le même acte comme s'il ne pouvait faire autre chose que répéter cette première scène où il surprit sa femme et la tua. Cet événement ne pouvant être nommé, il a fallu 1001 nuits pour qu'il cesse.
Hassib : Sue veut dire nommer ?
Danial : Nommer, c'est passer du sensible à l'intelligible.
Hassib : Cela voudrait dire qu'il a fallu 1001 nuits pour qu'il puisse s'arrêter de répéter la même chose? Autrement dit pour pouvoir passer du sensible à l'intelligible, pouvoir nommer?
Danial : Exactement
Hassib : Mais alors, pourquoi Mille Nuits et Une Nuit?
Danial : La réponse est dans le titre : Alf Lailah oua Lailah, sois très attentif à ce qui va suivre : tu sais que d'après la tradition des anciens, chaque lettre de l'alphabet a une valeur numérique, ainsi la première lettre correspond à 1, la deuxième à 2, etc. Ainsi la première lettre "A" correspond à 1 et le nom de cette lettre s'écrit ALF. ALF signifie aussi mille. Ce qui revient à dire que le nom de la première lettre s'écrit de la même manière que le mot qui veut dire mille. La racine est la même, seule la vocalisation change.
Hassib : J'entends bien, mais quel rapport avec les contes?
Danial : Tu dois savoir que ALF est aussi la racine d'un verbe qui veut dire apprivoiser, éduquer, apprendre, et il est dit dans le préambule que les légendes des Anciens sont une "leçon" pour les Modernes. Il faut donc prendre ces contes comme des leçons.
Hassib : Si je comprends bien, ces mille nuits ou leçons serviraient à passer du sensible à l'intelligible, à pouvoir nommer. De même que pour nommer "A", on écrit ALF, on passe par ALF LAILAH (mille nuits) pour pouvoir nommer. Mais a-t-on d'autres éléments qui nous permettent cette interprétation?
Danial :A la fin des Mille Nuits et Une Nuit, il est dit que le roi ordonna aux scribes d'écrire "tout ce qui lui était arrivé avec son épouse Schahrazade depuis le commencement jusqu'à la fin sans omettre un seul détail. Et ils se mirent à l'œuvre, et écrivirent de la sorte, en lettres d'or, trente volumes, pas un de plus, pas un de moins " (Mardrus II,1018).
Hassib : Pourquoi trente volumes, pas un de plus, pas un de moins?
Danial : C'est justement là où je veux en venir : de la même façon que ALF, nom de la première lettre est aussi la racine d'un verbe qui veut dire apprendre, il existe une autre lettre dont le nom en hébreu, langue dont l'arabe est proche, est aussi un verbe qui veut dire apprendre, c'est la lettre "L", nommée LMD, qui a donné dans notre langue tilmidh élève. Et cette lettre "L" a pour valeur numérique 30, d'où les trente volumes.
Hassib : Je suis satisfait de ces explications, mais jusqu'à présent on s'est interrogé sur Mille, et il s'agit de Mille Nuits et Une Nuit. Que signifie cette nuit après la millième?
Danial : La nuit après la millième est une ère nouvelle, car il est écrit dans l'épilogue que la 1001ème nuit " devint la date d'une ère nouvelle pour les sujets du roi Schahriar" (Mardrus, II, 1017. Sache, mon fils, que toutes les réponses sont dans le livre pour qui se donne la peine de les chercher...
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Ce texte a été composé par certains participants d’un séminaire de l’EHESS (Anthropologie du Monde arabe), animé par Gilbert Grandguillaume et François Villa, psychanalyste, sous le titre « Anthropologie et psychanalyse : autour de l’origine et de la transmission ». Ont contribué à l’élaboration du texte : Wahiba Afrit, Abdallah Bounfour, Claudette Dupraz, Gilbert Grandguillaume, Jacqueline Guy-Heinemann, Badia Hadj-Nassar, Michèle Tordjmann, François Villa.
La perspective de travail adoptée par rapport aux Nuits, dans un groupe qui réunit des psychanalystes et des arabisants, est d’écouter le texte dans ses versions arabes et dans ses traductions. Dans le stade initial que représentent ces textes, les interprétations globales ont généralement privilégié le corpus recensé dans la traduction française de Mardrus (Les Mille et Une Nuits, R.Laffont, coll. « Bouquins », 2 t., 1985). Une réflexion analogue reste à faire sur les versions arabes, selon les contes retenus, leur ordre et les commentaires hors contes.
Livre des Mille et Une Nuits, à partir des premières sources arabes, texte arabe édité par Muhsin Mahdi, Leiden, Brill, 1984, p.61
Paul Auster, L'invention de la solitude, Actes Sud, 1988, p.188-189
Cf. Monique Schneider, le trauma et la filiation paradoxale, Ramsay, 1988, p. 227.
Histoire de la reine Yamlika, princesse souterraine, Mardrus, I, p. 811 sq.
Traduction littérale de Alf Lailah oua Lailah.
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