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Compte-rendus
ALGERIE : QUEL NOM POUR QUELLE GUERRE ? |
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La Quinzaine littéraire, N°805, 1er-15 avril 2001, p.11-13
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En Algérie, comme nommer ce tissu continu de violences qui va de la conquête de 1830 à notre actualité d’aujourd’hui ? Robert Bonnaud y voit la responsabilité de la France, Benjamin Stora et Gilbert Meynier y ajoutent d’autres facteurs internes, tandis que Tassadit Yacine s’interroge sur les ressources culturelles qui permettraient de faire face à des situations de domination. Et qui prend en charge l’intérêt de l’Algérie dans tout cela ? Sera-ce le chacal ?
Robert BONNAUX. La cause du Sud. L’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, la Palestine, les nations…Ecrits politiques 196-2000.L’Harmattan, 2001, 206 pages.
Benjamin STORA. La guerre invisible. Algérie, années 90. Presses de Sciences Po,2001, 126 pages.
Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie. Sous la direction de JC Jauffret et M.Vaïsse. Editions Complexe, 2001, 561 pages.
Tassadit YACINE-TITOUH. Chacal ou la ruse des dominés. Aux origines du malaise culturel des intellectuels algériens. La Découverte, 2001, 287 pages
Que peut penser aujourd’hui un homme, un intellectuel, qui s’est autrefois fortement engagé dans la lutte des Algériens pour leur indépendance ? Face à un idéal tiers-mondiste qu’il n’a jamais renié, quelles réflexions peut lui inspirer l’état du monde aujourd’hui, où peut-il situer le champ de ses combats ? Tel est le sens des réflexions où nous convie Robert Bonnaud, dans ce livre qu’il sous-titre « Ecrits politiques 1956-2000 ». L’auteur réunit ici un certain nombre de textes publiés principalement dans La Quinzaine littéraire, la revue Esprit, ou dans un ouvrage antérieur épuisé, Itinéraire (Editions de Minuit, 1962). Ces textes, peu remaniés, sont présentés comme un témoignage apporté à l’histoire de l’anticolonialisme. L’expérience de l’auteur s’est construite autour de l’Algérie, qui constitue l’objet essentiel du livre, mais les réflexions s’élargissent ensuite à la question palestinienne et à l’évolution du contexte international. Il y a en tout cela une continuité de la lutte pour l’émancipation planétaire, comme l’écrit l’auteur en 1976 1 : « Les peuples non-occidentaux ont-ils raison de se révolter contre le monde que l’Occident leur a fait ? Si oui, l’histoire de la guerre d’Algérie a une valeur politique permanente. Elle est un moyen, parmi d’autres, pour juger de la valeur de tel ou tel groupe politique français. C’est pourquoi les luttes révolutionnaires d’aujourd’hui ont besoin d’histoire vraie et libre, non d’histoire « à la carte » et « en carte », serviable-servile, empressée à parler quand il faut et à se taire à bon escient. L’histoire n’est pas la prostituée de l’action. Elle en est plutôt la très exigeante et très responsable partenaire. » (p. 104).
Pour l’Algérie, le jeune Robert Bonnaud, agrégé d’histoire, a bien payé de sa personne. Il participe aux manifestations des jeunes appelés qui refusaient d’aller combattre en Algérie. Repéré de ce fait par les autorités militaires, il effectue son service en Algérie dans des conditions difficiles : dans ses lettres, publiées plus tard par Esprit, il témoigne de la sauvagerie des combats, de la férocité de la répression, des tortures, de l’absurdité de la « pacification ». De retour en France, il reste engagé dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, participe au mouvement des « porteurs de valise », se trouve incarcéré à la prison des Baumettes à Marseille en 1961. Toutes ces étapes sont aussi des lieux d’écriture, d’où il analyse la situation et où il manifeste souvent une grande lucidité.
Jusqu’où faut-il s’engager dans le soutien à l’Algérie ? Dans la gauche, il distingue la «gauche coloniale », la SFIO qui décrète en 1956 les « pouvoirs spéciaux », le PC qui les vote (la «gauche respectueuse » de la légalité), et les divers courants gauchistes favorables à une action violente. C’est l’objet d’un article publié dans Esprit en 1962 (p.68-sq). L’auteur y regrette que la gauche ne se soit pas plus engagée, qu’elle ait en quelque sorte trahi les valeurs qu’elle représentait : à quoi Domenach répond en défendant la position qu’il a préconisée à ce moment : ne pas sortir de la légalité, ne pas donner au fascisme le prétexte de prendre le pouvoir en France. Dans ce même texte, l’auteur constate les premières désillusions apportées par les débuts de l’Algérie indépendante : les valeurs démocratiques trahies par la gauche n’ont pu de ce fait s’implanter en Algérie, à quoi Domenach répond que d’autres facteurs ont empêché la révolution algérienne d’accoucher d’une démocratie : « Je ne crois pas que la défaillance de la gauche française soit la seule coupable des excès et de l’anarchie qui ont marqué les débuts de l’indépendance, non plus que de la faiblesse des doctrines et des programmes de la révolution algérienne…Quoi d’étonnant à ce que l’intelligentsia révolutionnaire algérienne ait été, dès l’indépendance, à peu près éliminée par des dirigeants dont les proclamations idéalistes et fulgurantes (tantôt à la gloire de l’arabisme, tantôt à la gloire de l’industrie) préparent, comme le craint Bonnaud, des lendemains désabusés, et que la nécessité rendra dangereusement réalistes. C’est attribuer trop de crédit à notre petite gauche française que de la déclarer coupable de ces confusions et de ces tentations. »(p.81, 82). L’idéalisme de R.Bonnaud ne l’avait en effet pas empêché de craindre l’éventualité de telles déviations : « Il y a de quoi inquiéter dans ce révolutionnarisme plus traditionaliste que révolutionnaire, cet arabisme, cet oulémisme, ce fanonisme qui n’utilise que les faiblesses du livre de Fanon. Que les couples s’entendent demander leurs papiers de mariage, dans les rues d’Alger, ce n’est rien. Mais si la réalité qu’on nous prépare en Algérie s’avérait fondamentalement chauvine ? Dans ce cas, il y aurait de beaux jours pour que le néocolonialisme français, européen, américain, bénéficiaire discret du verbalisme et de la torpeur « arabes ». La petite et moyenne bourgeoisie musulmane, nombreuse, enrichie par la guerre et l’après-guerre, bien placée politiquement (et j’ajoute : militairement), s’occuperait à devenir grande, sur les dépouilles des Pieds-Noirs, sans enrichir beaucoup l’Algérie. Quant à la communauté kabyle, la plus « francisée », au meilleur sens du mot, et qui n’a de leçons à recevoir de personne pour ce qui est de la lutte armée et de l’esprit unitaire, elle serait la minorité kurde de l’Algérie indépendante. » (p.73-74). Cette réflexion faite à la fin de l’année 1962, témoigne d’une étonnante lucidité de Robert Bonnaud : il envisage une triste possibilité, tout simplement, à ce moment, il se refuse à y croire. A la différence de Domenach, il en attribue d’emblée la responsabilité à la France : « N’est-ce pas le colonialisme, et notre inconscience, qui ont gâché, en Algérie, les chances de notre culture, renforcé, en fait l’attachement du peuple algérien à sa religion, à ses traditions ? …Les instituteurs SFIO ont déshonoré l’athéisme aux yeux des Algériens, et les Oulémas ont d’autant plus d’influence. Le PCA et le PCF ont déshonoré le léninisme ; Ouzegane, du coup, se croit obligé de défendre le statut coranique des femmes, et le Coran lui-même…(p.74) ». Quoi qu’il en soit, il a le courage politique de faire face à cette désillusion, à la différence d’autres militants qui préféreront longtemps se voiler la face, comme le reconnaît Pierre Vidal-Naquet, il est vrai, en 1995 : « N’annonçant nulle parousie du tiers monde, manifestant plutôt l’impossibilité de s’assumer de ce peuple, démentant les prétentions morales de la gauche française et l’idéalisme des intellectuels, la guerre d’Algérie est un événement tragiquement négatif, encore plus qu’on ne le pensait à l’époque. Et c’est parce qu’elle l’était que beaucoup de gens se sont raconté des histoires…2 »
Mais revenons aux années de la guerre d’Algérie. De sa prison des Baumettes, Roger Bonnaud rédige un rapport pour un colloque international qui se tient à Rome, en février 1962. Sur le problème des Pieds-Noirs, il ne se fait pas d’illusions. Opposés aux discours lénifiants tenus alors sur leur future cohabitation avec des Algériens indépendants, ses propos seront censurés. Représentant une « oligarchie coloniale », les Pieds-Noirs devront être rapatriés. En 1954, 90% de la population musulmane ignorait le français, et 85% de la population européenne ignorait l’arabe et le berbère (p.62). Il ne voit là aucune symbiose culturelle possible, aucun métissage à l’horizon. Il est l’un des rares à ne pas se tromper, comme le dit Marc Thibaud : « Pour Louis Joxe, l’expulsion , ou la sécession, d’une partie de la société algérienne par l’autre relève alors de l’inconcevable. Mais nous nous sommes tous trompés sur ce point, en grande partie parce que notre souhait moral était celui de la coexistence. Tous, à l’exception de Raymond Aron qui a très tôt prévu le retour des pieds-noirs en métropole.3 » Ajoutons : et de Robert Bonnaud, et sans doute quelques autres…
Autre point important : la question de l’islam en Algérie : pour nombre de militants progressistes, il ne relève que de l’archaïsme. Au témoignage de Pierre Vidal-Naquet, on n’en parlait guère à ce moment : « Je me souviens pourtant de Robert Bonnaud revenant d’Algérie et me parlant de l’islam comme d’un facteur pouvant aider les combattants de l’indépendance.4 ». Dont acte. R.Bonnaud est peu explicite sur ce point dans ses écrits, mais il participe d’une vision ethnocentrique laïciste souhaitant spontanément une Algérie à son image. Il a pourtant bien remarqué l’extrême marginalisation de la population algérienne sur son propre territoire : les colons s’appelaient Algériens, et les autres étaient des « indigènes » ou des « musulmans ». Il n’a pas perçu la profondeur du rôle joué par l’islam en tant que structure de résistance identitaire à la dépersonnalisation coloniale. Dépourvus de tout repère symbolique (comme le bey de Tunis ou le sultan de Rabat), les Algériens en ont trouvé dans leur islam et dans leurs langues (R.Bonnaud notait bien que 90% ne parlaient pas le français, et combien allaient à la messe ?). L’islam pour eux n’était pas qu’une religion : c’était une façon de manger, de s’habiller, de vivre socialement, d’exister dignement. Réduire cela à de l’archaïsme, combattre la religiosité populaire comme l’ont fait les réformistes, ancêtres du FLN, mépriser les parlers populaires, comme l’a fait le pouvoir algérien indépendant : que reste-t-il alors de l’algérianité ? Il n’y a plus qu’à importer de l’occidentalisme d’Europe ou de l’arabisme du Moyen-Orient. Des évolutions, si souhaitables soient-elles, sont elles possibles en faisant abstraction du point de départ ? Certes les militants de la guerre d’Algérie ont été abusés par ce que Paul Thibaud nomme « le déguisement occidental de la révolte algérienne 5 ». R.Bonnaud ne pouvait y échapper, et sa pensée sur ce sujet s’est trouvée renforcée par l’apparition de l’islamisme (qui a peu à voir avec cet islam dont nous parlons). Il écrit en 1988 : « L’archaïsme porte un nom, celui de l’Islam, de l’Islam tel qu’il est, l’islamisme réel, et de la culture algérienne traditionnelle, et du tempérament national algérien. L’Islam n’a pas encore eu son Humanisme, ses Lumières. Il les aura un jour…(p.139) ». S’il fallait parler de responsabilité du colonialisme, c’est bien plutôt là qu’il faudrait la situer, dans le fait d’avoir privé un peuple de tout repère d’identité politique, au point de le contraindre à s’arc-bouter sur des bases effectivement primaires : mais peut-on pour autant s’autoriser à exporter des modèles prêts à porter élaborés durant des siècles dans une autre culture ? Que l’islamisme soit venu fausser la perspective, cela ne fait pas de doute. Mais il ne faut pas oublier qu’il a canalisé la haine d’une dictature vomie par le peuple. De là à dire que ses militants ne sont que des « simples d’esprit « (p.161), ou à les accuser de l’assassinat de Boudiaf (p.118), il y a quelque emballement. Pour qui connaît l’Algérie aujourd’hui, il est impossible de dire que l’islam n’y est qu’arriération, même si l’islamisme lui a fait grand tort, parce qu’il demeure ciment social pour la grande masse de la population. A moins de vouloir laisser de côté 90% de la population (comme le firent autrefois les colons), il faudra bien faire avec, et bien sûr, avancer. Il se fut sans doute davantage ouvert si, avant l’islamisme, le pouvoir algérien ne l’avait utilisé politiquement à ses propres fins. La méconnaissance de la place de l’islam dans la société algérienne a été générale chez les intellectuels, à l’instar de celle de la langue arabe, sans doute parce que, dans un combat tiers-mondiste, ils ne savaient qu’en faire.
Il est triste que l’Algérie n’ait pour ainsi dire pas reconnu l’engagement de ces Français qui, dans des conditions difficiles, se sont rangés à ses côtés , certains - R.Bonnaud en cite quelques-uns- y ont laissé leur vie et sont aujourd’hui méconnus sur les deux rives de la Méditerranée. Pour ceux qui ont survécu, le devenir tragique de l’Algérie pourrait faire apparaître leur combat comme inutile. Robert Bonnaud n’est pas de ces pessimistes. Il ne regrette rien de sa lutte, ne revendique aucune reconnaissance, et il porte son attention sur les espoirs de changement que pourrait laisser apparaître le champ mondial . Le contexte idéologique dans lequel il a mené son action semblera sans doute dépassé aux lecteurs d’aujourd’hui. Mais ce qui en transparaît toujours, c’est la générosité de l’homme. L’auteur suggère (p.202) les racines familiales de cet engagement exceptionnel, et fait souhaiter au lecteur une véritable autobiographie qui retracerait l’itinéraire personnel, à travers ses hésitations et ses doutes, ses espoirs et ses déceptions, et montrerait aux générations actuelles qu’il est toujours valable de poursuivre un idéal.
C’est de la guerre d’Algérie que traite aussi l’« ami Stora », comme dit R.Bonnaud. S’agit-il de la seconde, comme on le dit communément ? B.Stora montre que ce rapprochement, s’il présente quelques lumières, est surtout générateur d’erreurs, car depuis 1954, l’Algérie a profondément changé. Il y a certes quelques constantes, telle cette culture du secret, profondément enracinée, et qui opacifie cette guerre au point de la rendre invisible. Invisible, elle l’est aussi par le manque d’images, ce qui la rend irréelle dans un monde habitué à identifier l’événement avec l’image qui lui en est transmise par des media sélectifs. Pour l’opinion publique française, préoccupée surtout d’oublier la première, le départ entre « bons » et « méchants » conduit à opposer un Etat « moderniste » à un islamisme « obscurantiste » et à se sentir foncièrement anti-islamiste : « Sur l’Algérie, le mélange de républicanisme anti-religieux et de religiosité anti-islamique fonctionne à plein » (p.58). On rejoint ici quelques thèmes de R.Bonnaud. Du côté algérien la superposition de la carte des combats donne le sentiment qu’il y a là la poursuite d’un combat inachevé : « La carte de la violence épouse la carte des revanches portées par des enfants qui ont le sentiment que leurs pères ont été trahis et/ou dépossédés des fruits de la victoire anti-coloniale. Dans un camp comme dans l’autre » (p.62). Comme dans ses écrits précédents, B.Stora revient sur le caractère catastrophique de l’oubli des « pères fondateurs » qui prive cette société de tout substrat symbolique et l’amène à lui substituer une culture de la guerre : violence qui s’enclenche directement sur la violence coloniale et ne permet pas d’en sortir. Mais, à défaut de « clés » pour comprendre une situation que l’actualité quotidienne présente chaque jour comme plus embrouillée, l’ouvrage montre qu’un travail de relecture est en cours, par les films, par les autobiographies, par les écrits, notamment ceux des femmes : « Leur récit offre, par le biais de l’autobiographie ou du roman, les moyens de pénétrer plus avant dans la tragédie. Tension entre la femme qui écrit et un monde bouleversé : dans un déluge de sang et de haine, elles semblent porter seules une parole lucide et désespérée » (p.99-100). De ce travail naît l’espoir de pouvoir mettre un nom sur ces tragédies et de rendre possible l’œuvre salvatrice de la mémoire et de l’oubli.
L’exploration de la guerre d’Algérie est loin d’être terminée : aux lectures anciennes, parfois teintées de langue de bois, des publications collectives, actes de colloques , substituent un nouvel éclairage. Aux côtés des grands spécialistes (Ch.-R.Ageron, G.Meynier, G.Pervillé, B.Stora…) elles intègrent la nouvelle génération (R.Branche, S.Thénault…).Tramor Quemeneur, abordant la question des réfractaires français dans la guerre d’Algérie, tente d’en faire une évaluation réaliste et cite Robert Bonnaud à qui, en 1961, « il est arrivé de suggérer, en plaisantant, que, pour un peu, on aurait des romans sur le « Soutien » mais pas de soutien, un manifeste sur le droit à l’insoumission, mais pas d’insoumis » (p.130). Gilbert Meynier fait une étude comparée de l’action du FLN/ALN dans les six wilayas durant la guerre : une action violente dont les mobiles vont du vrai nationalisme au tribalisme, régionalisme, clientélisme, sans omettre la volonté de puissance. Des massacres collectifs (tel celui des Aït Ourabah : 490 personnes en une nuit -p.166-) anticipent ceux d’aujourd’hui. Et l’auteur d’ajouter : « Les conditions de son emprise sur le peuple algérien ont été souvent violentes et elles ne peuvent pas ne pas avoir laissé des traces indélébiles dans l’inconscient collectif. Le FLN, ce fut bien le peuple algérien, mais dans une palette variée qui alla de l’adhésion populaire aux entreprises de conquête et de mainmise violentes. » (p.169).
Faut-il dès lors être chacal pour subsister dans un tel contexte ? La sagesse kabyle, qui fait de celui-ci l’emblème du faible ne pouvant s’affirmer que par la ruse, donnerait-elle la recette de survie dans une société toujours dominée ? Tassadit YACINE, enseignante à l’EHESS et directrice de la revue berbère AWAL, étudie la place du chacal dans la culture kabyle, en la comparant à celle du renard en Occident, pour en tirer une référence de culture politique. Le chacal a affaire à plus fort que lui, le lion ; il ne peut l’affronter, mais il peut ruser avec lui, se rendre utile, devenir sa couverture : moyennant quoi il peut devenir dominant par rapport à de plus faibles. Dans ce champ intermédiaire, il peut dégager son espace d’ambiguïté mais aussi de créativité. L’auteur insère ici une analyse des intellectuels algériens, placés entre leur culture d’origine et celle du colonisateur, remplacée par celle des « décideurs ». Le puissant ne laisse le choix qu’entre l’adhésion et la contestation : l’adhésion, c’est la démission, la contestation, c’est la mise à l’écart. Le chacal démocrate montre la possibilité d’une voie moyenne, celle d’un intellectuel libre qui assume un rôle de passeur, de « truchement » comme disait Jacques Hassoun, mémoire d’une culture dominée, et pontife au sens propre de la transgression.
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1 « La guerre d’Algérie », Les Cahiers du Forum-Histoire, N°2, avril 1976
2 « Le combat pour l’indépendance algérienne : une fausse coïncidence. Entretien avec Paul Thibaud et Pierre Vidal-Naquet, », Esprit, N°1, janvier 1995, p.152.
3 Marc Thibaud, in Esprit, op.cit., p.148.
4 Pierre Vidal-Naquet, ibid.p.143.
5 Marc Thibaud, ibid.p.145.
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