Gilbert GHrandguillaume

Anthropologue arabisant,
spécialiste du Maghreb et du Monde arabe.

Nedroma, l'évolution d'une médina Arabisation et politique linguistique au maghreb Sanaa Hors les murs
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Compte-rendus
LES CARNETS D’UNE ETHNOGRAPHE DE L’ALGERIE
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La Quinzaine littéraire, N°780, 1er-15 mars 2000, p.30.

Germaine Tillion, Il était une fois l’ethnographie. Editions du Seuil, 2000, 300 p. Le nom de Germaine Tillion est intimement lié à l’Algérie et nombreux sont ceux qui l’ont rencontrée à ce titre, comme lecteurs, chercheurs, étudiants, bénéficiaires de conseils et d’aides dont elle ne fut jamais avare. Elle nous livre ici un aspect peu connu de sa vie : ses premiers pas dans l’ethnographie de l’Algérie. Entre 1934 et 1940, jeune étudiante envoyée par Marcel Mauss, elle a effectué quatre longs séjours dans les montagnes de l’Aurès, vivant seule au milieu de populations ne connaissant les étrangers que comme quffar (mécréants), partageant leur vie, parlant leur langue, recueillant leurs traditions, étant à leur écoute au point de devenir leur confidente : une époque difficile, mais heureuse, à laquelle allait mettre fin une double catastrophe : la guerre mondiale et ses horreurs, et l’enfer pour Germaine Tillion : membre du réseau de résistance du Musée de l’Homme, elle est arrêtée en 1942, puis déportée à Ravensbrück. Elle en sortira en 1945 vivante, mais meurtrie, ayant perdu mère et grand-mère, nombre d’amis, dépouillée des précieux documents de son terrain des Aurès. Malgré la fatigue et les ans, elle transmet ici les éléments de son terrain qu’elle a pu reconstituer, à partir de brouillons et de sa mémoire. Tout au long de ces pages, le lecteur est entraîné dans un monde aujourd’hui disparu : celui des tribus avec leur organisation, leurs luttes, leurs croyances, leur agriculture. Dans cet univers sous-administré, les problèmes sont résolus par les anciens (les Grands Vieux) sans laisser l’administration s’en mêler, selon un code de l’honneur rigide où les meurtres sont comptabilisés, mais où les femmes sont protégées. Germaine Tillion montre aussi comment cette organisation commence à vaciller : c’est “le pot de terre contre le pot de fer”, le moulin à mazout remplace le moulin à bras, soulage les femmes, mais accroît la précarité. Germaine Tillion est particulièrement attentive à l’endogamie, qu’elle trouve sur son terrain, mais aussi dans toute l’aire méditerranéenne : “Le mariage endogame permet de tout garder : les filles et les profits. Mais il prive de ces beaux-frères qui, par-delà les rivières et les collines, vous reçoivent et vous aident. Il empêche aussi de finir élégamment les guerres par un mariage-fête au lieu de les achever dans un massacre général...” (p.81). Reprenant la thèse qu’elle a exposée dans Le Harem et les cousins, elle en voit l’origine dans la révolution néolithique où la maîtrise d’une supériorité technique permit à des populations de ne plus avoir besoin d’échanger avec leurs “autres”. Ce livre si documenté est d’une lecture agréable. L’auteur s’exprime avec l’humour, qui permet de relativiser tant le “discours des professeurs” que le tragique de l’existence. Elle ne s’interdit pas les digressions, les rapprochements avec d’autres mondes, y compris le nôtre. Mais ce qui transparaît surtout tout au long de cette longue conversation, proche de la confidence, c’est l’attachement profond qu’elle ressent pour cette société algérienne qui l’a accueillie, pour laquelle elle a tant fait, et dont le malheur actuel l’attriste. Plus qu’un témoignage, c’est un héritage qu’elle laisse, un secret sur la façon d’être ethnographe, sur l’art d’accueillir en soi l’autre d’une société.


Gilbert GHrandguillaume

Anthropologue arabisant,
spécialiste du Maghreb et du Monde arabe.

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