Gilbert GHrandguillaume

Anthropologue arabisant,
spécialiste du Maghreb et du Monde arabe.

Nedroma, l'évolution d'une médina Arabisation et politique linguistique au maghreb Sanaa Hors les murs
Bibliographie Compte-rendus Entretiens Préfaces en arabe   باللغة العربية

Entretiens
LA LOI DE L'ARBITRAIRE
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Le Jeune Indépendant du 29-mars-2003 http://www.jeune-independant.com/culture.htm#c1

Gilbert Grandguillaume est anthropologue. Il est également arabisant. Ancien professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, il y a animé un séminaire d’anthropologie du monde arabe et y a encadré des thèses de doctorat. Il a publié des ouvrages relatifs aux domaines de la langue et des cultures arabes, de l’islam, du Maghreb notamment de l’Algérie. Dans une approche anthropologique et psychanalytique, il s’est intéressé à la question du père et de la transmission culturelle en prenant appui sur diverses sources arabes, dont les Mille et Une nuits. Il collabore régulièrement à la Quinzaine littéraire et à la revue Esprit. Dans le cadre du colloque du Haut conseil islamique sur le thème «Les conditions d’un dialogue fructueux entre les cultures et les civilisations», il a présenté une conférence intitulée «Reconnaître l’autre en soi, une condition du dialogue». Entretien réalités par Farouk Belhabib Le Jeune Indépendant : «Reconnaître l’autre en soi, une condition du dialogue» est l’intitulé de votre intervention. A qui adressez-vous au juste cette expression ? Gilbert Grandguillaume : Cette expression vaut aussi bien pour l’Occident que pour l’Orient. Il n’y a pas de distinction dans le cadre du dialogue. Il faut prendre conscience qu’aujourd’hui, on est dans une situation qui fait qu’on est engagé dans un tas d’échanges et de communications et que, souvent, nos habitudes et nos comportements sont très attachés aux habitudes des autres. Quand on parle, on est toujours influencé par l’extérieur. Je dois souligner, malheureusement, que cela n’est pas tout à fait valable dans toutes les situations. Il se trouve que des cultures et des traditions, sous manipulations politiques, empêchent de prendre cette conscience de reconnaître l’autre en soi. Ce qui fait qu’il y a une volonté d’isoler des sociétés et de créer cette peur de l’autre en eux . Cela est valable pour plusieurs régions du monde. Continuellement, des institutions culturelles ou éducatives diffusent cette image justement. L’histoire qui nous a été enseignée enfants a toujours été celle des batailles et des guerres. Mais il n’est jamais dit, que ce soit en France ou ici, qu’il y a eu des moments où les civilisations procédaient à des échanges entre elles et qu’il existait des contacts entre les hommes. Je suis de ceux qui disent que s’il y a eu justement un mouvement d’évolution de nos sociétés, c’est grâce à ces échanges et à ce dialogue. Pour prouver cette affirmation, il suffit de rappeler que toutes les sociétés qui ont vécu dans l’isolement et l’enfermement n’ont jamais pu évoluer. Est-ce cela, justement, une des raisons du développement de l’Occident ? Dans les pires moments de l’histoire, et cela je suis tenu de le rappeler, les échanges entre nations et cultures ont existé. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est une vérité. Pendant les Croisades, André Michel a raconté l’histoire d’un chevalier, très représentative d’un dialogue qui puisse exister dans le monde. Les Croisades ont peut-être été évoquées comme étant les moments les plus durs des relations entre l’Occident et l’Orient, il n’en reste pas moins que ce chevalier a réussi à nouer, à l’époque, de bons rapports avec les Arabes. De nombreux conférenciers ont justement évoqué, lors de la première journée du colloque, le rôle des musulmans dans l’évolution de l’Occident. Ils étaient également presque unanimes à dire que les Occidentaux nient cet héritage. C’est là une vérité. Depuis le XIXe siècle, il y a une espèce d’intensification du refus de reconnaître l’apport de l’autre. Il est évident pour tous les Européens qu’au Moyen-Age, les milieux intellectuels développés étaient du côté de l’islam. L’Europe, à cette époque-là, vivait dans la misère et l’ignorance totale. Historiquement, personne ne peut nier l’apport de la pensée musulmane à la renaissance de l’Europe. Seulement, après cette époque, les Européens ont vite oublié cette période et considèrent donc que l’Occident s’est développé spontanément et que c’est lui qui a participé à l’évolution de l’Orient. En réalité, il faut dire que les échanges ont été et sont toujours permanents. Ce n’est pas seulement une partie qui donne et une autre qui profite. L’auteur français que j’ai cité dans ma conférence, Rémi Brague, a écrit plusieurs livres à ce sujet. Il disait que finalement, les grandes civilisations sont celles qui ont su emprunter, traduire, reconnaître leurs besoins, voire leur pauvreté, et non pas celles qui affichent une suffisance stérilisante à terme. La situation que vit le monde aujourd’hui, notamment ce conflit au Proche-Orient, ne traduit-t-elle pas, selon vous, cette «suffisance stérilisante»? Cela est beaucoup plus perceptible, je le pense, dans les échanges et relations culturelles internationales. La volonté de la culture américaine de dominer toutes les cultures du monde a provoqué des réactions mitigées. La France en est un très bon exemple. Elle a toujours défendu son exception culturelle. La prise de conscience de l’hégémonie de la langue anglaise a amené les Français à se défendre. Il ne faut perdre de vue que derrière la menace de langue il y a celle de la culture. Et cette culture, capitaliste et superficielle, ne veut que développer des échanges marchands où les valeurs doivent s’effondrer. Et donc, voilà une vraie menace pour les civilisations et pour les religions. Les Etats devraient être plus attentifs. Pour vous, quelles sont les conditions nécessaires pour un dialogue fructueux ? Il faut tout d’abord créer une prise de conscience. Comme je l’ai souligné, au début, l’isolement ne profite qu’à l’extrémisme et ne favorise pas l’échange et le dialogue. L’école est appelée à jouer un rôle capital quant à l’ouverture sur le monde, notamment par l’encouragement de l’enseignement des langues étrangères. Ce qui est déplorable aujourd’hui c’est que toutes les machines institutionnelles, politiques et médiatiques, notamment européennes, continuent à cultiver le chauvinisme. Aussi, il est urgent d’instaurer la tolérance et le pardon. On devrait insister également sur la participation de tous les pays du monde à la stabilité et au dialogue. On devrait cesser d’attendre les actions des Etats-Unis. La responsabilité de chacun dans la création de l’ouverture à l’autre doit être aussi engagée. Dans cette optique, les associations peuvent jouer un rôle réel, même si cela se fait quelquefois contre la volonté des gouvernants. Comment situez-vous aujourd’hui le dialogue entre les cultures et les civilisations ? Dans ce sens, je dois dire qu’il faut être optimiste. Les possibilités de dialogue, à notre époque, sont beaucoup plus importantes qu’autrefois. Je pense, particulièrement, aux nouvelles technologies de communication et d’information. L’accès à l’internet a permis, aujourd’hui, aux gens de tisser rapidement des relations. Les moyens de transports et les industries culturelles ont nettement évolué, permettant ainsi de lever toutes les barrières. F. B.


Gilbert GHrandguillaume

Anthropologue arabisant,
spécialiste du Maghreb et du Monde arabe.

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