Gilbert GHrandguillaume

Anthropologue arabisant,
spécialiste du Maghreb et du Monde arabe.

Nedroma, l'évolution d'une médina Arabisation et politique linguistique au maghreb Sanaa Hors les murs
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Nédroma, une référence algérienne
Nédroma Hor Mag.doc
Revue Horizons Maghrébins, Le droit à la mémoire, N°56/2007, p.168-176, Toulouse Le Mirail.

A une époque où l’Algérie oscille entre des références culturelles et linguistiques divergentes, le retour à des options proprement algériennes s’avère nécessaire. La source peut en être trouvée dans le patrimoine culturel et historique incarné dans des lieux de mémoire où les habitants de l’Algérie se reconnaissent. La petite ville de Nédroma, située dans l’ouest algérien, est l’un de ceux-ci.. En parler comme d’une médina signifie qu’elle fut autre chose qu’une ville ordinaire. Dans le paysage urbain de l’Algérie, on a depuis longtemps distingué les villes d’avant la colonisation de celles que celle-ci créa de toutes pièces comme Sidi Bel Abbès. Nédroma fait partie de la grande famille des médina, comme Tlemcen, Constantine, au Maroc, Fès ou Meknès, en Tunisie comme Kairouan, Sfax ou Tunis. Alors qu’au Maroc les villes européennes furent fondées à côté des médina pour préserver celles-ci, en Algérie, un tel souci n’exista pas et beaucoup de traces de ce passé précolonial ont été effacées. Ce ne fut pas le cas de Nédroma qui, à part ses remparts, conserva l’essentiel de sa structure et constitue aujourd’hui un patrimoine précieux pour l’Algérie..
Depuis quelques années une association, el-Mouahidia, s’est créée dans la ville pour protéger son patrimoine et en transmettre la mémoire. Outre son action locale permanente, elle organise des colloques pour faire connaître son action et l’intégrer dans une action plus globale associant d’autres associations du même type.[1]
Après avoir rappelé les caractéristiques des médina du monde arabe, pour montrer comment celles-ci se retrouvent dans la ville de Nédroma, j’envisagerai les changements intervenus dans la période qui a suivi la guerre d’indépendance et soulignerai l’intérêt que présente un tel modèle pour l’Algérie d’aujourd’hui en quête d’une personnalité originale différant tant du modèle occidental que de la référence moyen-orientale.

Le modèle de la ville musulmane
Le modèle de la ville musulmane ou madîna a suscité un large intérêt des spécialistes de la civilisation islamique. L’historien tunisien Hichem Djaït en fait le point dans son célèbre ouvrage sur la ville d’Al-Kûfa[2] en Irak. La madîna est le lieu où se développe la civilisation islamique, selon des caractéristiques architecturales et sociales spécifiques.
Le centre de la ville est la mosquée cathédrale (al-djâma’ al-kebir) où se fait la prière du vendredi et la khotba, ceci pour la distinguer des mosquées de quartier. Son annexe est le hammam, nécessaire pour les purifications liées à la prière. Dans certains cas est adjointe une madrasa, lieu d’enseignement pour les étudiants (comme dans le cas de la Zaytûna de Tunis ou de la Qarawiyine de Fès).
La mosquée est entourée du quartier commercial (le sûq) avec ses différentes spécialités de métiers. En son centre et proche de la mosquée se situait souvent la qaysariya, marché de matières précieuses, bijoux ou étoffes.
Au-delà du sûq se tenaient les quartiers d’habitation eux-mêmes structurés selon des liens familiaux voire ethniques. Ces quartiers présentaient une certaine privauté dans la mesure où ils étaient articulés sur des impasses : de ce fait aucun étranger au quartier n’était censé s’y rendre sans raison particulière. Souvent une mosquée permettait à ses habitants d’y faire la prière et de s’y réunir.
La plupart de ces villes étaient entourées de remparts. Généralement s’y adjoignait une citadelle ou qasbah dont la position dominante devait assurer la protection de la ville.
Ces villes étaient le lieu d’une activité économique intense. L’artisanat (du textile, du cuir, du bois, etc.) produisait des biens qui alimentaient le marché. Le commerce s’alimentait de biens produits sur place ou importés d’autres régions, selon des circuits courts (marché intérieur et échange avec la campagne environnante) ou plus longs (échanges) entre villes analogues.
Lorsqu’elle est assez importante, la madîna est aussi un lieu d’étude et d’enseignement des sciences religieuses. L’enseignement est centré sur la mosquée et ses annexes éventuelles. Il porte à un premier niveau sur le texte du Coran qu’il faut retenir par cœur. Au-delà, il concerne le commentaire (tafsîr), la grammaire (nahwu) et les sciences annexes. Les étudiants sont originaires de la cité ou des régions voisines. Les maîtres dispensent un enseignement repris des auteurs d’autrefois, et les étudiants doivent pouvoir le reproduire par cœur avant de recevoir du maître une ijâza , licence d’enseigner la matière sous l’autorité du maître.
D’autres caractéristiques culturelles marquent la madîna. La pratique de la musique en constitue une tradition ancienne, inspirée au Maghreb par la production andalouse. Souvent aussi la madîna utilise un parler citadin, différent de celui qui est pratiqué par leur environnement rural : ces parlers citadins avaient des traits communs qui ont été étudiés autrefois par certains orientalistes.

La madîna dans son environnement
Ces caractéristiques de la ville se précisent si on envisage l’environnement rural ou tribal où s’est implantée la ville. Celle-ci entretient avec celui-ci une relation d’opposition-complémentarité. Ibn Khaldoun a largement théorisé cette opposition entre nomades guerriers et citadins amollis par le luxe, dans le cadre d’une dynamique qui conduit régulièrement les tenants du pouvoir citadin à être remplacés par les nomades, selon un cycle qu’il évalue à quatre générations. Cette analyse est certes valable au sommet du pouvoir, mais durant des siècles, des situations relativement stables ont fait coexister des citadins et des ruraux dans une relative complémentarité. La ville a besoin des ruraux pour son approvisionnement et éventuellement pour la protection de ses circuits d’échanges plus lointains. Les ruraux ont besoin de la ville pour ses produits, mais aussi parce que la ville est pour eux une sorte de garantie d’islam car la religion y est plus autorisée. Par ailleurs la ville est plus vulnérable parce que fixée sur place : cela la contraint à un agir diplomatique, tandis que les ruraux, nomades ou sédentaires, bénéficient dans les conflits d’une certaine mobilité. De ce fait les deux populations se distinguent par leur façon de parler, de s’habiller, de pratiquer les rituels. Ce sont donc des coexistences plus ou moins sereines mais qui se sont concrétisées durant des siècles autour des grandes médina.

Le modèle madîna à Nédroma
Sans être l’égale des grandes métropoles telles que Fès, Meknès, Tunis, Kairouan, Constantine ou même Tlemcen sa « rivale » proche, Nédroma fait partie de la famille en ce qu’elle en présente les caractéristiques, au même titre que d’autres villes de la région étudiées par Djilali Sari[3]
La grande mosquée existait dès le XI° siècle, puisqu’un fragment de la chaire (minbar) y fut découvert en 1900 et daté approximativement de 1090. L’inscription disait : « Ceci est le présent de l’émir le Sid…ben Yousef ben Tachfîn, qu’Allah le maintienne dans le droit chemin… A eu lieu l’achèvement de ceci par les soins du jurisconsulte le cadi Abou Mohammed ‘Abdallah ben Saïd, le jour du jeudi 17 du mois de… » (deux dernières lignes effacées)[4]. Le minaret actuel fut construit en 1348 (749 H), comme l’indique l’inscription arabe gravée sur le marbre à l’intérieur de la mosquée : « Au nom d’Allah, le clément, le mmiséricordieux. Bénédiction d’Allah sur notre seigneur Mohammed. Les gens de Nédroma ont construit ce minaret avec leur argent et de leurs propres mains. Toute récompense vient d’Allah. Il fut construit en cinquante jours. Il fut bâti par Mohammed ben ‘Abdelhaqq ben ‘ Abderrahmane ech-Chisi, l’an 749. La miséricorde d’Allah sur tous. »
Le hammam (el-hammâm el-bâli) qui jouxte la grande mosquée témoigne par son nom de son ancienneté. Sur la grande place (Tarbi’a) donnait aussi le tribunal traditionnel (mahakma). La division en quatre quartiers : Beni-Affâne, Beni-Zid, Kherba et Souq fut longtemps l’articulation urbaine essentielle. Citons aussi les remparts dont quelques vestiges subsistent, notamment à Sidi-Abderrahmane, ainsi que la Casbah dont la porte domine toujours la ville. D’autre part la ville comportait un réseau impressionnant de mosquées, de lieux saints et d’écoles coraniques dont les ouvrages de MB Djebbari fournissent un relevé remarquable[5].
Le mythe de fondation de la ville en attribue l’origine à Abdelmoumen, fondateur de la dynastie des Almohades et originaire d’une tribu de la région, les Koumia. Il l’aurait peuplée dès l’origine d’otages pris dans les grandes tribus du Maroc. Ces traditions sont difficiles à vérifier aujourd’hui, mais il faut bien admettre que certains noms de familles sont ceux de grandes tribus marocaines : les Ghomara, les Zerhana, les Senhadja, entre autres. Par ailleurs la prise d’otages pour s’assurer la fidélité de partenaires politiques était couramment pratiquée à l’époque.
La tradition citadine se manifestait dans la nourriture, l’habillement, la pratique du chant et de la musique : toutes traditions que j’ai essayé autrefois de fixer dans mon livre sur la ville[6]. La différence avec la campagne environnante se marquait aussi dans le langage. De ce parler, W.Marçais écrivait en 1902 : « Le tlemcénien est, avec le nédroméen, le seul dialecte oranais, qui offre les particularités des dialectes citadins. Dans toutes les autres villes de l’Oranie, si bizarre que puisse paraître la chose, on parle des dialectes bédouins. »[7] Cette spécificité doit moins apparaître aux générations d’aujourd’hui, dans la mesure où, ici comme ailleurs, les façons de parler tendent à s’homogénéiser. Ainsi les deux populations de Nédroma et des environs se sont maintenues durant des siècles comme différentes jusqu’à une époque récente. On peut dire que la dernière manifestation où les deux populations s’affirment dans leur opposition séculaire fut l’époque où le réformisme (al-islâh ) fut introduit à Nédroma, dans les années 50, par la prédication d’Abdelwahab Benmansour, envoyé par Cheikh Ibrahimi pour fonder la médersa et prêcher la réforme : une mission qu’il put mener à Nédroma, mais pas dans les campagnes environnantes, fixées dans leur opposition à la ville[8].

Le changement à Nédroma
Le changement s’est introduit à Nédroma avec la colonisation, notamment avec l’ouverture d’une école française en 1856. La scolarisation a permis de former une élite qui valut à la ville la réputation d’être une « pépinière de fonctionnaires », selon le mot d’un Résident du Maroc. Les habitudes ont changé aussi, le progrès technique également. Mais cette transformation n’a pas modifié la structure de base de la ville : les ruraux (dits qbayl en référence au nom de tribu en arabe : qabîla et non pas en référence à la Kabylie, même si des traces berbères n’ont pas manqué dans la région) n’habitaient pas dans la ville, n’y possédaient pas de maisons, chaque groupe vivait son identité dans l’opposition à l’autre. Cependant à l’époque de la guerre de libération une rupture importante s’est instaurée. Quand je suis venu pour la première fois à Nédroma durant l’été 1966, pour y préparer ma thèse de doctorat, je fus intrigué par cette phrase que tous répétaient : « Nédroma, ce n’est plus comme avant ». Que s’était-il donc passé ?
Pour en avoir une idée plus claire, et approfondir les impressions des habitants, je dépouillai les archives de l’état-civil établi en 1888 et je comparai les noms qui y figuraient à ceux des listes électorales de 1965. Je pus ainsi constater que la structure de la population s’était profondément modifiée.
Avec l’accentuation de la violence des combats de la guerre de libération dans les années 1955 et 1956, un certain nombre de citadins partirent se réfugier au Maroc voisin, y entraînant leurs familles et laissant vides leurs habitations. Parallèlement les ruraux, soumis à la pression militaire, vinrent se réfugier dans la ville, volontairement ou non. En 1962, alors qu’un retour à la situation antérieure aurait pu être envisagé (les exilés revenant du Maroc et les ruraux retournant dans leurs villages), c’est le mouvement inverse qui s’accentua. La plupart des citadins partis au Maroc ne revinrent pas à Nédroma : leurs habitations étaient souvent occupées et la position des ruraux s’était renforcée par leur participation plus active à la guerre. Par ailleurs leurs compétences pouvaient mieux s’exercer dans les grandes villes comme Sidi Bel Abbès, Oran et Alger, où de nombreux postes administratifs étaient à pourvoir. Il s’est ainsi établi dans la ville une coexistence des citadins et des ruraux jamais vécue sous cette forme. Il est certain que pour les ruraux le fait d’habiter en ville présentait bien des avantages, allant du confort de l’habitat aux avantages de la scolarisation et des services publics. L’extension de la ville hors de ses remparts, déjà amorcée dans les années 40, n’a fait que s’amplifier depuis, au point que la médina ne représente plus qu’un quartier d’une grande agglomération elle-même semblable à beaucoup d’autres en Algérie.

Nédroma aujourd’hui
Nédroma doit-elle se contenter aujourd’hui du souvenir de la gloire d’antan ? Comme on a dit à une époque : « Rome n’est plus dans Rome », faut-il dire « Nédroma n’est plus dans Nédroma » ? Certes ils sont ailleurs les grands noms qui ont fait la célébrité de la ville : après avoir fourni autrefois à l’Algérie son premier médecin (le docteur Naqqache) et un délégué financier reconnu (M’Hammed Ben Rahhal, 1858-1928), la ville a donné naissance au premier ambassadeur en France de l’Algérie indépendante (Abdellatif Rahhal), à un premier ministre, à de nombreux ministres et responsables d’entreprises nationales, à des fonctionnaires, à des entrepreneurs, à des militaires. Si la ville fut autrefois une pépinière de fonctionnaires, elle a fourni à l’Algérie indépendante une proportion de cadres dépassant largement son poids démographique. L’activité des associations, des orchestres, entre autres,
montre que la ville a conscience de son identité historique et qu’elle veut la préserver. Mais comment le faire aujourd’hui, dans la tourmente de la vie moderne, dans les urgences de la construction nationale, dans les remous de la mondialisation ? Que peut apporter Nédroma à l’Algérie d’aujourd’hui ? Il faudrait protéger la mémoire et transmettre les valeurs de l’ancienne madîna.

Protéger la mémoire
Il est important que les générations actuelles et futures puissent voir les reliques de leur passé, les monuments en premier lieu. Certes la grande mosquée restera longtemps, mais les autres vestiges doivent être conservés : le dessin général de la vieille ville, la Casbah et ses environs, les restes des remparts. Alors que la ville d’Alger n’a pas su protéger le quartier de la Casbah, majestueux vestige d’un passé précolonial, Nédroma doit garder une conscience vive de l’importance de ces traces du passé dans la construction de l’identité présente et cela demande des initiatives voire des sacrifices. Cela concerne la ville mais aussi d’autres sites : je pense à ce palmier de Sidi-Brahim, qui vit en 1845 la défaite de la colonne Montagnac, puis la reddition en 1847 de l’émir Abdelkader. Il en est de même de la maison de Ghazaouat où l’émir passa sa dernière nuit en Algérie.
La musique classique andalouse est un élément important du patrimoine culturel nédromi. De grands orchestres se sont illustrés dans le passé : Si Driss, Rahmani, Ghenim. Aujourd’hui celui de Si Ghaffour a été reconnu par plusieurs prix, mais il en est d’autres. L’intégration de nouvelles générations se fait sans difficultés, puisqu’une école de musique andalouse a été fondée.
La langue arabe parlée à Nédroma avait ses caractéristiques propres, proches de celles du langage de Tlemcen, mais néanmoins différentes. Alors que le relevé de celui-ci avait été fait par Marçais autrefois, celui de Nédroma n’a pas fait l’objet d’un tel travail. Il serait souhaitable que des linguistes entreprennent ce travail tant qu’il existe encore quelques personnes âgées susceptibles de témoigner de ce qu’elle fut : l’un des parlers citadins algériens. Dans le même mouvement des anthropologues pourraient recueillir des témoignages sur l’histoire et les traditions locales dont la mémoire risque de s’effacer prochainement : c’est notamment le cas des derniers témoins de la guerre de libération dans la région, illustrée par les batailles du Fillaoussène en 1956 et 1957.

Transmettre des valeurs
La cité dans son modèle de madîna recèle des valeurs qu’elle est susceptible de transmettre au-delà de ses limites
La première valeur est l’estime de soi et la fierté de son origine. Elle est fondée sur un mythe d’origine, un récit des origines qui est le fondement d’une communauté. C’est là un trait dont l’Algérie dans son ensemble ne bénéficie pas suffisamment aujourd’hui. On constate maintenant à quel point la politique de colonisation a entraîné une dépersonnalisation, parfois intériorisée au fil des ans, et qui peut entraîner la haine de soi dont ont parlé certains auteurs. Nédroma à cette époque savait qu’elle avait un passé derrière elle, de fières origines, elle a pu se faire respecter du colonisateur (ce dont témoigne entre autres le parcours de M’Hammed Ben Rahhal et aussi les rapports des administrateurs, dont M. Rohrbacher[9]). Cette estime de soi a permis à la cité de s’ouvrir sans complexe à l’instruction et à la modernité, sans renier ses origines. La permanence de l’enseignement arabe, l’enthousiasme suscité par le mouvement réformiste montrent que la cité savait relier le passé et le présent, associés symboliquement dans la connaissance des deux langues : l’arabe et le français. C’est cet esprit que la madîna peut apporter à l’Algérie.
Une autre valeur liée à la madîna est la cohésion sociale. Certes la vie en quartiers comportait un contrôle social mal supporté par les individus d’aujourd’hui, mais elle incluait une vie d’échanges et un sens de la collectivité. Elle s’accompagnait d’une certaine tolérance dans la mesure où ces cités comprenaient une minorité juive importante, de l’ordre de 10% de la population : c’était le cas à Nédroma. A une époque où dans le sillage de la mondialisation un individualisme exacerbé commence à gagner de larges couches de la population, il est bon de rappeler l’importance et les exigences de l’appartenance à son milieu et par delà à sa nation.
Enfin Nédroma, apparemment fermée sur elle-même, a su s’ouvrir au changement. Cela se fait parfois dans des conditions désastreuses quand cette ouverture s’accompagne de négation de soi et d’automutilation. Nédroma, par son enracinement, son attachement au côté positif de ses traditions, a su trouver en elle-même assez d’assurance pour s’ouvrir au changement sans crainte de s’y perdre. C’est cette qualité qu’il faut souhaiter voir se poursuivre sur place et s’étendre à l’ensemble de l’Algérie, ce qui sera finalement la véritable survie de la cité.
Au moment où elle disparaît sous sa forme ancienne, Nédroma représente pour l’Algérie un lieu de mémoire important. Elle témoigne d’une civilisation algérienne antérieure à la colonisation. Face à celle-ci elle a su résister, mieux, s’emparer de la modernité sans renoncer à elle-même. Un mythe d’origine est un levier puissant pour la construction d’une nation. L’Algérie, exposée de longues années au mépris colonial, malmenée par la hogra d’un pouvoir autoritaire, a besoin de retrouver dans son histoire les éléments de sa propre revalorisation. Elle peut les trouver dans la mise en valeur de son patrimoine total, préislamique[10], islamique et moderne, afin d’affirmer une identité propre : ni occidentale, ni moyen-orientale : algérienne.

[1] Ce texte a été rédigé à l’occasion du 5ème colloque international sur l’histoire de Nédroma et sa région, tenu à Oran du 20 au 22 décembre 2006, sur le thème « Le patrimoine culturel et scientifique».
[2] Hichem Djaït, Al-Kûfa. Naissance de la ville islamique, Paris, Maisonneuve et Larose, 1986
[3] Djilali Sari, Les villes précoloniales de l’Algérie Occidentale.Nédroma, Mazouna, Kalâa,Alger, SNED, 1960.
[4] Georges Marçais, La chaire de la grande mosquée de Nédroma, Revue Africaine, 1932, p.331-331.
[5] Mohammed Benamar Djebbari, Un parcours rude et bien rempli. Mémoires d’un enseignant de la vieille génération, tome I, Oran, OPU, 1999, p.87-94. Voir aussi : tome II, 2001 et tome III, 2002.
[6] Gilbert Grandguillaume, Nédroma. L’évolution d’une médina. Brill, Leiden, 1976. Réédition Mémoire de la Méditerranée, 2003.
[7] William Marçais, Le dialecte arabe parlé à Tlemcen. Grammaire, textes et glossaire, Paris, Ernest Leroux, 1902, p. 8.
[8] Pour cette question, voir G.Grandguillaume, « Une médina de l’ouest algérien : Nédroma » , in Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, Aix-en-Provence, N°10, 1971, p.55-80.
[9] Julien Rohrbacher, Monographie de Nédroma, inédit, bibliothèque du CHEAM, Paris, 1938.
[10] Voir Gilbert Meynier, L’Algérie des origines, De la préhistoire à l’avènement de l’islam. Paris, La Découverte, 2007


Gilbert GHrandguillaume

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